C’est ce qu’illustre bien les dernières pages de l’ouvrage de David Graeber (2011/2013), sur la dette ; décrivant le quotidien d’Américains simples pris au piège des crédits et qui, comme tout humains réels, ne s’obstinent pas moins à vivre…
«Tout ce théâtre moralisateur postule qu’en dernière analyse l’endettement personnel est un abandon à ses désirs, un péché contre ses êtres chers – donc que la rédemption doit nécessairement passer par la purification et le retour à l’autosacrifice ascétique. Ce qu’on dissimule hors de notre vue, c’est d’abord qu’aujourd’hui tout le monde est endetté (la dette des ménages américains est actuellement estimée, en moyenne, à 130 % de leurs revenus), et qu’une très faible part de cette dette a été contractée pour parier sur un cheval ou être gaspillée en frivolités. Lorsqu’on emprunte de l’argent pour des « dépenses discrétionnaires », comme disent les économistes, c’est essentiellement pour le donner à ses enfants, le partager avec des amis, ou pouvoir construire et maintenir avec d’autres humains des relations fondées sur autre chose que le pur calcul matériel. On a dû s’endetter pour vivre au-delà de la simple survie […] Au fond, c’est la sociabilité elle-même qui est traitée comme abusive, criminelle, démoniaque.»
S. Raymond Aïgba